Résumé d'intervention : Anne-Claire Vallet, "S'approprier.... sous surveillance ?"
Anne-Claire Vallet est architecte, doctorante en anthropologie, co-directrice au LAA (laboratoire Architecture Anthropologie).
Sa recherche en cours s’intitule "S'approprier.... sous surveillance ?" .
Cette recherche porte sur les espaces en friches résiduels de la ville, focale sur la notion d'habiter.
Méthode : rechercher des espaces, des terrains cachés où il n'y a que très peu d'associations (terrain difficilement visible) qui sont sur place.
Quatre terrains sélectionnés dans la banlieue populaire (1ère couronne) de Paris : 1. terrain en bordure de l'autoroute à Bagnolet 2. terrain vague suite à une démolition (Montreuil) 3. Interstice entre les autoroutes (Romainville) 4. terrain vague en attente, Montreuil
Histoire de chaque rencontre :
TERRAIN 1
Première rencontre avec un SDF en 2009. Retour sur place en 2012 : le même SDF habite toujours là mais un homme d'une trentaine d'années vit également sur ce morceau de territoire (depuis 3 jours). Rencontre simple avec cet homme. Climat d'angoisse dû aux délogements répétés de la police. Cet homme habite donc temporairement dans une tente pour faire illusion d'une installation courte (stratagème de non appropriation de l'espace, apparence d'une mobilité). Le climat d'angoisse se dissipe, l'homme s'est donc construit une cabane de fortune (renonçant à l'électricité qui représente la limite à na pas franchir dans un contexte de surveillance). La présence d'une cabane indique donc le contexte sécuritaire du moment.
TERRAIN 2
Rencontre en 2012 avec trois hommes (trois étrangers, sans papiers, deux trentenaires et un sexagénaire). Ils logent dans un reste de démolition (cabane en parpaings). Plusieurs possibilités d'accès à la cabane selon son niveau d'agilité. Une visite de voleur dans leur cabane pendant la journée. Un regret pour ces trois hommes : très peu de vie sociale puisqu'on n'invite pas ses amis aussi facilement que si l'on habite dans un appartement : sentiment de honte. La discrétion de leur habitation ajoutée à leur discrétion a permis à ces trois hommes de vivre sans confrontation avec les voisins / la police. Les regards restent à distance (très grande parcelle).
TERRAIN 3
30 / 40 habitants coincés entre les bretelles d'autoroutes, environ 15 cabanes. Impression de village, de rapports de voisinage. Confort relatif puisque les cabanes sont reliées à l'électricité, ils peuvent donc se chauffer l'hiver. Les cabanes possèdent de grandes fenêtres, une structure poteau / poutre, les portes ferment à clé. Les habitations ne sont que très peu visibles depuis la route dans une partie
de ville où les piétons ne circulent pas. Terrain peu accessible et les habitants n'ont pas de visite. Un jour, la police constate l'occupation et prévient d'une future expulsion. Ordre de ne pas construire de nouvelles cabanes d'ici là. L'expulsion devient effective et pour être sûr que personne ne pourra plus s'installer là, le terrain est martelé à coups de pelleteuse.
TERRAIN 4
Terrain vague depuis les années 90 (propriétaire privé, parcelle faisant partie d'une ZAC), la parcelle fait face à un centre des congrès. Installation de plusieurs familles de Roms depuis juin 2012. Peu de communication car personne ne parle suffisamment le français. Le terrain est encerclé de grillage mais les habitants ont ajouté des bâches pour recréer un sentiment d'intimité. Début avril 2013 : expulsion programmée (en raison d'un salon du livre pour enfant dans le centre des congrès). Mi- avril, les cabanes sont incendiées. La plupart des familles quitte les lieux et celles qui restent seront expulsées en mai sans aucune prévision. S'en suit alors une série d'expulsions répétées des familles sans alternatives proposées.
Eléments de conclusion
A travers tous ces exemples, on se rend compte que s'approprier l'espace n'est pas une question de volonté ou d'aptitudes mais est intimement lié avec la notion de surveillance et de propriété. Enjeux de gouvernance et de pouvoir politique.
Quelques notions de vocabulaire :
- Friches : espaces indéterminés, non productifs dans cet entre-temps. Produit de la transformation urbaine, temporairement délaissés.
- Appropriation : "faire sien, se créer un soi"
- Roms : différence entre la représentation des Roms dans la société actuelle et le sens réel de ce mot. Selon les Nations unies et l’Union romani internationale, les Roms, «hommes» en hindi, désignent un ensemble de populations originaires du Rajasthan (Inde) ayant en commun une langue, le romani. En ce sens, les Gitans, les Sintis ou les Yéniches, arrivés en Europe occidentale depuis des générations, sont rom. Certains d’entre eux contestent cependant cette appartenance car, dans le langage courant, ce vocable renvoie aux seules populations migrantes d’Europe de l’Est. Le terme tsigane a également une portée générique. (http://ec.europa.eu/justice/discrimination/roma)
Pour aller plus loin :
Je me suis réfugié là, Bord de routes en exil, M. Agier, S. Prestianni, 2011, 126p.
Paris Refuge, habiter les interstices, F. Bouillon, S. Kassa, C. Girola, A.C. Vallet, sous la direction de Michel Agier, Editions du Croquant, coll. « Carnets d'exil », 2011, 191 p.
Interstices urbains, les délaissés de l'aménagement, S. Tonnelat, 2003 - Article en ligne http://stephane.tonnelat.free.fr/Welcome_files/ChimeresInterstices0001.PDF
L’intégration traditionnelle des Gabori de Transylvanie, Martin Olivera, Préparée sous la direction de Patrick Williams, Université Paris X – Nanterre, 2007, 573 p. http://www.romeurope.org/proto/IMG/these-martin-olivera-romanes.pdf
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